“A Marseille, l’affaire des procurations à la case parquet” LIBÉRATION, 08/03/2021

Alors que le tribunal administratif a rejeté tous les recours, l’enquête préliminaire sur les «manœuvres frauduleuses» dans plusieurs secteurs de la ville lors des municipales de 2020 a été bouclée.

A Marseille, on prend parfois son temps. Mais dans le volet pénal des procurations présumées frauduleuses du premier tour des municipales, ça ne traîne pas. La police judiciaire vient en effet de boucler ses investigations concernant les 6e-8e et 11e-12e arrondissements de la ville, a annoncé jeudi le quotidien La Provence. L’enquête préliminaire pour «manœuvres frauduleuses» et «faux et usage de faux» avait été ouverte en juin par le parquet de Marseille, à quelques jours du second tour.

Le dossier est donc désormais sur les bureaux des magistrats du parquet. A eux «d’analyser le dossier en termes d’éléments à charge et à décharge» avant d’éventuelles «poursuites devant le tribunal correctionnel», précise la procureure de Marseille, Dominique Laurens. Les magistrats du parquet devraient rendre leur conclusion d’ici l’été. Selon une source proche du dossier, une vingtaine de protagonistes pourraient être ainsi amenés à comparaître, parmi lesquels des élus, des collaborateurs, des policiers, mais aussi des petites mains de la campagne.

Procurations amenées en scooter

Durant l’entre-deux tours, dans les 6e et 8e arrondissements – mairie de ce 4e secteur dirigée à l’époque par la droite et raflée par l’union de la gauche en juin dernier – des enquêtes de France 2 et Marianne avaient révélé un système présumé de procurations simplifiées. Le commissariat de secteur avait ainsi pu enregistrer des dossiers amenés clés en main par les équipes du maire LR sortant, Yves Moraine. Ces derniers avaient récolté, par SMS ou par téléphone, les éléments nécessaires au dépôt d’une procuration. Pratique, mais interdit par le code électoral. Dans les 11e et 12e arrondissements (6e secteur tenu également par la droite, dont le maire LR sortant, Julien Ravier a été réélu), les soupçons de fraudes concernent principalement 51 résidents d’un Ehpad, malades d’Alzheimer pour la plupart, et qui, sans l’aval de leur famille, auraient permis à des proches de Ravier de voter à leur place. Dans ce secteur, plusieurs photocopies de procurations avaient notamment été amenées à scooter dans un bureau du quartier populaire des Caillols. Libé s’en était fait l’écho en passant la journée du premier tour dans le bureau de vote concerné.

Niveau timing, les enquêteurs n’ont pas chômé. Plusieurs perquisitions ont eu lieu au début de l’été, notamment au local de campagne de la tête de liste LR et présidente du département, Martine Vassal – désignée par l’ex-maire Jean-Claude Gaudin comme sa successeure mais battue par la liste menée par Michèle Rubirola (Printemps marseillais) en juin. Fin septembre, neuf personnes étaient en garde à vue. Dont deux élus LR : Yves Moraine, numéro deux sur la liste Vassal et maire sortant des 6e et 8e arrondissements, et Julien Ravier, réélu maire des 11e et 12e arrondissements en juin. Mais ce dernier a, depuis octobre, cédé ce siège pour celui de député des Bouches-du-Rhône et l’immunité parlementaire qui va avec. Il était jusqu’ici suppléant de la députée LR Valérie Boyer, élue à l’automne au Sénat.

Enquête en cours dans les quartiers Nord

Selon nos confrères de La Provence, certains des gardés à vue seraient partiellement passés aux aveux. Apparemment pas les élus : Ravier répétant à l’envi qu’«une tête de liste ne gère pas ce genre de choses». A gauche, le candidat du Printemps marseillais dans les 11e et 12e arrondissements, Yannick Ohanessian, et ses colistiers, vont se constituer partie civile, selon leur avocat Me Xavier Pizarro. Mi-juillet, ils avaient déposé une autre plainte devant le doyen des juges d’instruction : ils dénonçaient alors de «fausses nouvelles et bruits calomnieux et autres manœuvres frauduleuses en vue de suspendre ou de détourner des suffrages», des «attroupements, clameurs ou démonstrations menaçantes ayant pour objet ou pour effet de troubler un collège électoral». Des faits présumés non retenus par le parquet.

En novembre, d’autres perquisitions, et saisies, ont eu lieu chez une figure associative, Karim Rebouh. Ce dernier avait fait la campagne de Ravier, mais aussi celle, dans le nord de la ville, de l’ex-socialiste Samia Ghali, maire des 15e et 16e arrondissements et désormais adjointe de Benoît Payan, successeur de Michèle Rubirola au poste de maire. La procureure, Dominique Laurens, a précisé au site Marsactu que l’enquête concernant les procurations frauduleuses présumées dans ce secteur des quartiers Nord était, contrairement à celles des autres arrondissements, toujours en cours.

«Probables renvois devant le tribunal correctionnel»

En parallèle du volet judiciaire, le tribunal administratif de Marseille s’est prononcé lundi sur l’annulation des élections dans les 11e et 12e arrondissements, mais aussi dans les 13e et 14e arrondissements. La juge a suivi les recommandations du rapporteur public, confirmant les résultats de juin 2020 et clôturant les élections municipales marseillaises. Dans les 13e et 14e arrondissements, le maire Rassemblement national sortant, Stéphane Ravier n’aura donc pas eu gain de cause : le sénateur d’extrême droite avait été battu de 397 voix par la liste LR de David Galtier. Le tribunal a reconnu que 204 bulletins devaient être retirés mais que l’écart restant était suffisant pour valider l’élection. «En France, on peut considérer qu’une élection peut être entachée de 50 % d’irrégularités sans pour autant l’annuler», a dénoncé Ravier qui se réserve le droit d’aller jusqu’au Conseil d’Etat pour obtenir gain de cause.

Même scénario dans les 11e et 12e arrondissements, le secteur de Julien Ravier. Malgré la reconnaissance de plusieurs dizaines de bulletins invalides, le juge administratif a suivi les recommandations du rapporteur public pour qui «les preuves versées aux dossiers ne sont pas suffisantes pour attester d’un système frauduleux». Lors de l’audience, l’avocat de Yannick Ohanessian (Printemps marseillais), Me Xavier Pizarro, avait trouvé «très surprenant que le nombre de procurations retenues comme irrégulières ne soit pas le même au tribunal administratif et au pénal». Soit 51 contre 294. Surprenant aussi que «l’on se dirige vers de probables renvois devant le tribunal correctionnel au pénal, alors que le rapporteur public du tribunal administratif, lui, estime dans ses conclusions, qu’il n’y a rien.»

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