“CBD: comment Kanavape a fait bouger les lignes”LES ÉCHOS, 24/03/2021

La marque de cartouches pour vapotage Kanavape a été pionnier en France dans le secteur des cannabinoïdes. Son fondateur, aujourd'hui expatrié en Tchéquie, a lancé une marque de produits « bien être ».

Si le marché du Cannabidiol (CBD) est en plein boom en France, avec ses 400 boutiques CBD-shops recensées, c'est un peu grâce à lui. Sébastien Béguerie a cofondé la marque Kanavape en décembre 2014 avec Antonin Cohen-Adad. Sa société se lance alors dans la vente de cartouches de vapotage préremplies au CBD, cette substance non psychotrope issu du cannabis.

Kanavape s'est engouffré dans le flou juridique français autour du CBD. Elle est la première à commercialiser ce cannabinoïde « sans THC ». Cela déclenche une vague de réactions politiques hostiles, notamment de la part de la ministre de la Santé de l'époque, Marisol Touraine . « On était pionniers sur ce produit. Les politiciens et les instances officielles l'ont associé à la marijuana. On a essuyé les plâtres » déplore Sébastien Béguerie. Trois mois plus tard, en février 2015, une perquisition est menée au siège de cette société marseillaise. Une enquête débute.

Sébastien Béguerie, lui, s'expatrie à Prague où est transformé son chanvre. Et en septembre 2015, les chefs d'inculpation tombent : trafic de stupéfiants, promotion à l'usage de drogues, pratique illégale de la médecine et de la pharmacie, ouverture illégale d'une officine… Une affaire qui mettra cinq ans à trouver une conclusion.

La Cour européenne de l'UE saisie

Les charges sont nombreuses et variées. Pour la pratique illégale de la pharmacie notamment, l'avocat de Kanavape temporise. « Tout vient d'une interview un peu subversive que l'entreprise avait donnée au journal Vice, ou l'on pouvait percevoir une certaine confusion entre CBD et cannabis médical » explique Xavier Pizarro. « Ce sont des infractions satellitaires, car l'accusation pour trafic de stupéfiants était compliquée à établir. » Le CBD n'est mentionné dans aucun texte. Seul est cité comme stupéfiant le cannabis, en général. Certaines exceptions dont le CBD ne fait pas partie sont précisées dans un arrêté de 1990. « Juridiquement, c'est discutable. Cela revient à confondre la matière première et le produit final », critique l'avocat.

En 2017, Sébastien Béguerie et Antonin Cohen-Adad sont condamnés respectivement à dix-huit et quinze mois de prison avec sursis, à 10.000 euros d'amende chacun par le tribunal correctionnel de Marseille, et à 5.000 euros conjoints doivent également être versés à l'ordre des pharmaciens qui s'est constitué partie civile. En 2018, devant la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence, Xavier Pizarro obtient la saisie de la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) pour une question préjudicielle. Il s'agit de déterminer le statut du CBD au regard du droit européen.

La CJUE rend son arrêt le 19 novembre 2020. Pour elle, le CBD n'est ni un médicament ni un stupéfiant. En conséquence, interdire sa vente en France constitue une atteinte à la libre circulation des marchandises dans l'Union. Cela revient à autoriser de fait la vente de produits au CBD en France, même si la transformation du cannabis y reste interdite. Kanavape est blanchi, puisque ses cartouches de vapotage sont produites en Tchéquie.

CBD plébiscité, accepté, mais seulement toléré

La décision de la CJUE sur le CBD incite nombre d'entrepreneurs à commercialiser des produits au CBD sous diverses formes : cosmétiques, vin, addictifs alimentaires pour chiens et chats, eau minérale… Mais comme le précise Xavier Pizarro, « plusieurs entrepreneurs ont encore subi des gardes à vue, des saisies, des enquêtes et même des détentions provisoires pour avoir commercialisé du CBD. La légalité du CBD fait toujours débat en France. » Il encourage donc les entrepreneurs à attendre la parution du décret ministériel qui mettra le droit français en conformité avec la décision de la Cour européenne.

De son côté, Sébastien Béguerie vit toujours en République tchèque. Il a arrêté la production de Kanavape et s'est concentré sur sa nouvelle activité. Désormais séparé de son associé, il commercialise des huiles bien-être et des produits cosmétiques, toujours au CBD, sous la marque Alpha-cat. Et vient aussi de lancer « Golden Buds », le « Kanavape 2.0 » profitant de l'atmosphère de plus en plus apaisée sur le sujet. Il prévient toutefois que si la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence finit par lui donner raison, il demandera des « compensations », notamment liées au fait qu'il n'a « pas pu profiter de la déferlante du CBD, alors que c'est grâce à [lui] qu'elle est arrivée en France. »

Précédent
Précédent

"La possible légalisation du CBD fait déjà frémir le monde entrepreneurial"LES ÉCHOS, 25/03/2021

Suivant
Suivant

“A Marseille, l’affaire des procurations à la case parquet” LIBÉRATION, 08/03/2021